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Opera (note de l'auteur)

Opera
en trois actes (1969-70)

La semence de Opera fut jetée en 1956 a Milan quand Umberto Eco, Furio Colombo et moi-même decidâmes d’écrire une “représentation”, Opera aperta, sur le naufrage du Titanic, coulé dans l’Atlantique lors de son voyage inaugural au cours d’une nuit glaciale, le 12 avril 1912. Ce navire était considéré comme un chef-d’oeuvre de la technologie navale, un sommet du progrès, un signe vivant du “destin magnifique et progressiste” vers lequel cinglait en toute confiance un monde qui concluait un siècle positif dans les fastes de la Belle Époque. Le navire coula à pic justement lors de son voyage inaugural à cause de sa fatale fierté, parce que peut-être sur le ‘bateau’ tout était prévu. Mais dans l’‘océan’ rôde un iceberg, tel l’élément d’une casualité et d’une naturalité que la science n’avait pas encore assimilé. Le destin du Titanic et de ses passagers (sur 1500 passagers, sont morts 20% de la première classe, 40% de la seconde classe et 80% de la troisième classe) est apparu comme un symbole chargé de beaucoup de significations et, comme tous les symboles, ‘ouvert’ à des interprétations plus audacieuses et plus libres.
Ce que nous voulions représenter en Opera aperta devait surtout signifier que ce qui s’est passé sur le Titanic pouvait arriver n’importe où: hier, aujourd’hui, demain. Comme lorsque quelqu’un, occupé a perfectionner ses instruments et a rendre optimistes et ordonnés ses rapports, ne sait plus quelle route il parcourt et, dans l’accumulation complexe de tant de faits accomplis et de réalisations bien faites, perd la notion même de ‘route’…
Je n’ai jamais écrit la musique pour ce livret. Si j’en parle maintenant, c’est que j’ai composé à la place un “Opera” (représenté par l’Open Theater de New York au cours de l’été 1970 a l’Opéra de Santa Fe) où, bien que peu ait subsisté de la collaboration originale avec Umberto Eco et Furio Colombo, certaines images centrales, certaines traces de la pensée originale et du texte ont survécu aux quatorze années d’odyssée entre Milan et Santa Fe.
L’“Opera” de ce soir est en substance semblable a celui qui a été représenté à Santa Fe, sauf pour quelques changements concernant l’orchestration, l’ordre de certaines scènes et certains points du texte.
Opera est une oeuvre a trois niveaux. L’image du Titanic mortellement blessé s’ajoute à celle de Terminal (qui était une des plus belles pièces du répertoire de l’Open Theater de New York, située dans le cadre du service des incurables d’un hôpital) et du mythe d’Orphée. On y trouve donc des fragments de Terminal en version originale, adaptés a la nécessité de représenter l’idée de la fin et de la violence d’une façon pas toujours spécifique. Le mythe d’Orphée naturellement traite aussi le thème de la fin inexorable et définitive. Il est présent dans Opera avec des fragments du libretto d’Alessandro Striggio pour l’Orfeo de Monteverdi. Les trois niveaux s’entrecroisent, se confondent et se commentent l’un l’autre. L’un glisse dans l’autre, disparaît et réémerge. L’ensemble se présente comme une méditation, un rêve, un peu aussi comme une ‘morality play’ sur le thème de la fin. Le mythe d’Orphée est présent comme texte chanté, par exemple au début d’Opera ou une soprano, accompagnée au piano, étudie un air qu’elle chantera avec l’orchestre vers la fin. Titanic et Terminal (ce dernier est le mythe le plus ‘visible’ sur scène) sont caractérisés par une grande diversité de comportements vocaux. De temps à autre, le parcours toujours ouvert des trois mythes entrecroisés engendre des situations apparemment étrangères les unes aux autres (comme la partie finale avec les enfants) qui pourraient à leur tour en engendrer d’autres, en une sorte de dialogue intérieur dramaturgique. En effet, à partir du Concerto I tout pourrait arriver. Le récit assume une allure apparemment hasardeuse comme si un ‘iceberg’ quelconque pouvait continuellement en modifier la route.
Le texte de Opera se borne à présenter des personnages virtuels. C’est la mise en scène qui éventuellement (mais pas nécessairement) peut définir et développer des personnages réels. La musique renforce cette ouverture implicite du discours scénique avec un emploi constant et souvent contradictoire de références musicales (les seules musiques citées sont mes Tempi concertati et quelques notes de Feu d’artifice de Stravinsky dans la Scène I). Opera en effet est aussi, souvent, un kaléidoscope et une parodie de genres musicaux très reconnaissables, des plus familiers aux plus cachés.
L’accumulation de modes différents de comportement musical, vocal et scénique (c’est-à-dire les différents modes de travail théâtral) sont la raison du titre qui ne veut pas nécessairement suggérer une parodie de l’opéra mais, plutôt, le pluriel de opus.

Luciano Berio

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